mardi 21 juin 2016

Pour réviser la poésie à la Renaissance

La lecture analytique du poème de Sponde.

Vous pouvez aussi retrouver l'article de l'an dernier sur le blog !

Et voici un poème d'Aubigné pour la poésie engagée à la Renaissance :



Je veux peindre la France une mère affligée,
Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée.
Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts
Des tétins nourriciers ; puis, à force de coups
D' ongles, de poings, de pieds , il brise le partage
Dont nature donnait à son besson l' usage ;
Ce voleur acharné, cet Esau malheureux ,
Fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux,
Si que, pour arracher à son frère la vie ,
Il méprise la sienne et n' en a plus d' envie .
Mais son Jacob, pressé d’avoir jeûné meshui,
Ayant dompté longtemps en son coeur son ennui ,
A la fin se défend, et sa juste colère
Rend à l' autre un combat dont le champ est la mère .
Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris,
Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits ;
Mais leur rage les guide et leur poison les trouble ,
Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble .
Leur conflit se rallume et fait si furieux
Que d’un gauche malheur ils se crèvent les yeux.
Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte,
Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ;
Elle voit les mutins, tout déchirés, sanglants ,
Qui, ainsi que du coeur, des mains se vont cherchant.
Quand, pressant à son sein d' une amour maternelle
Celui qui a le droit et la juste querelle,
Elle veut le sauver, l' autre, qui n' est pas las,
Viole, en poursuivant, l' asile de ses bras.
Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine ;
Puis, aux derniers abois de sa proche ruine,
Elle dit : " Vous avez , félons, ensanglanté
Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté ;
Or, vivez de venin, sanglante géniture,
Je n' ai plus que du sang pour votre nourriture ! "

Les Tragiques, I,"Misères" v. 97-130, Agrippa D’Aubigné (1616).



Besson : frère jumeau
Si que : si bien que
Pressé : contraint
Meshui : aujourd’hui
Ennui : douleur
Réchauffés : ravivés
Gauche malheur : funeste malheur
Mutins : révoltés

Adonc : alors

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